17 août 2010

Les Risques Psychosociaux

La notion de « risques psychosociaux » a fait son apparition en France au cours de la dernière décennie. Le terme est utilisé pour décrire soit des phénomènes pathologiques, soit des outils de qualification et d'évaluation des situations ou conditions de travail. Pour la plupart des organisations commerciales qui traitent de cette question la notion centrale est le stress. Certains, comme Éric Albert, se spécialisent sur cet aspect des choses. Cependant, d’un point de vue psychanalytique le stress n’est qu’une forme allégée d’angoisse.

La question que soulève Christophe Dejours est qu’est ce qui a changé en France lors de cette dernière décennie pour que les travailleurs soient plus angoissés ? Car il faut savoir que 47 % des salariés en France déclarent éprouver souvent du stress au travail et un tiers des salariés présente, d’après un cabinet spécialisé, des difficultés psychologiques. Le coût médical du « stress » est aux alentours de 500 millions d’euros par an et celui lié à l’absentéisme environs 300 millions d’euros. Or ces coûts ne présentent que l’aspect visible de choses. La manque d’efficacité au travail lié à ces phénomènes est bien plus élevé et plus difficile à évaluer.

Mais pourquoi parle-t-on de risque ? Le terme risque désigne la prise en compte d'une exposition à un danger, un préjudice ou autre événement dommageable, inhérent à une situation ou une activité. Le risque est défini par la probabilité de survenue de cet événement et par l'ampleur de ses conséquences. D’après Frank Knight (Risk, Uncertainty and Profit, 1921) le risque comporte des probabilités mathématiques pour se réaliser. En psychopathologie la notion de « risque » n’existe pas. L’individu, en fonction de ses expériences de petite enfance, structure psychique de ses parents qui peuvent affecter la sienne, éléments systémiques de sa famille, des expériences d’adolescence … se dote d’une « organisation psychique » qui lui permet de vivre. Il n’est pas ici question de risque car il y a une incertitude quasi-totale quant au résultat de tous ces facteurs. Cette incertitude est aux antipodes du risque qui désigne une situation où les possibilités de l'avenir sont connues et probabilisables.
La compréhension de « risques psycho-sociaux » devient ainsi plus facile : il y aurait en jeux des éléments sociaux qui risquent de créer des pathologies psychiques au niveau individuel. Ce qui permet d’affirmer l’existence de ces conditions c’est le nombre – plus élevé – des individus, dans un système social qui manifestent des pathologies psychiques à un taux plus élevé que d’autres populations. À titre d’exemple plus de suicide dans une entreprise que la moyenne ou des salariés plus stressés que la moyenne dans une autre.

A l’inverse d’une situation d’incertitude totale, l’existence d’un risque permet l’anticipation, et la gestion de ce risque. Les étapes consistent en l’évaluation et la mise en place d’un système de surveillance et de collecte systématique des données qui permet de déclencher les alertes. En ce qui concerne les risques « psychosociaux » cela peut designer l’apparition de certains troubles ; troubles qui en fonction de leurs état d’avancement pourraient être plus ou moins visibles ou évaluables. Le trouble peut être caractérisé par l’apparition chez une ou plusieurs personnes de signes souvent faiblement perceptibles qui, faute d’attention, peuvent progressivement s’aggraver jusqu’à devenir pathologiques. Le risque est donc considéré au sens de probabilité qu’une de ces pathologies se manifeste.

Les risques psychosociaux au travail se manifestent donc de trois manières, plus ou moins perceptibles: l'impact psychologique sur les salariés, l'impact relationnel entre les salariés et l’impact sur le travail. Le dernier élément est en quelque sorte le plus important pour la rentabilité de l’entreprise, mais paradoxalement, il n’est jamais mis en avant par des spécialistes comme Marie Pezé ou d’autres qui sont des psychologues et ignorent ce qu’est une entreprise. L’intervention du psy, ou de l’entreprise ou du manager pour améliorer les deux premiers éléments n’est qu’une action curative et non pas préventive. Cela veut dire que le coût économique est déjà absorbé par l’entreprise.

Quels sont les troubles le plus souvent observés ? De manière générale, le « stress », mal-être, et l’inquiétude sont identifiés dans un premier temps. Si ces symptômes n’attirent pas l’attention des responsables et que la situation s’aggrave, ces manifestations peuvent se développer sous des formes d’angoisse, souffrance, épuisement (burn-out), et dépression … qui peuvent donner lieu à l’addiction ou recours à substances illicite pour pouvoir acquiescer les exigences du travail. Une certaine agressivité et des comportements violents peuvent être observés chez les salariés. Les deux axes des risques psychosociaux (psychologique et relationnel) sont plus visibles et facilement remédiable que le troisième (travail). Les actions mises en place portent ainsi le plus souvent sur l'individu (le salarié) et le groupe. Mais Nader Barzin est parmi les rares universitaires à signaler que les actions qui tiennent la route et qui traitent la situation de manière fondamentale et durable interviennent sur les éléments organisationnels et managériaux, autrement dit l’alignement stratégique de l'entreprise.
Les outils d’analyse ergonomique du travail permettent en quelque sorte de prendre en compte le travail réel et le travail perçu. Le travail réel est l’activité que développent véritablement les personnes en situation, au regard du travail qui leur est prescrit. Le travail perçu, bien que son caractère soit subjectif, doit être aussi appréhendé car il renseigne sur les représentations individuelles et collectives. L’appréciation de la réalisation de leur travail ainsi que les difficultés que vivent les personnes et leur encadrement intermédiaire dans leur travail sont des éléments tout aussi importants dans le processus. Dans la mesure où cette approche repère des phénomènes collectifs, elle permet de dépasser la simple représentation d’une personne et de trouver des déterminants qui concernent un collectif.

L'analyse ergonomique se concentre sur 3 axes : l'analyse de l'activité, les facteurs professionnels et les caractéristiques des salariés. Des entretiens, des observations de situations de travail, et d’une immersion dans les interactions entre les salariés et leur environnement, permet aux ergonomes de mettre au jour les facteurs de risques. Les facteurs professionnels comprennent  le système de prescription du travail, l’organisation du travail, la gestion des RH, le management, et le mode de relation de travail et l’environnement. Le deuxième axe, les caractéristiques des salariés comprennent les facteurs comme l’âge, le genre, l’ancienneté, la formation, et les compétences des salariés.
L'analyse psychosociale se concentre la plupart de temps sur 2 séries d’éléments : le salarié et l’organisation de l’entreprise. En ce qui concerne le salarié, l’analyse s’efforce d’identifier les différents types de mal-être exprimés et de voir s’il existe des éléments partagés parmi les salariés. Il s’agit de comprendre quel est la perception en interne des causes de ce mal-être, y a-t-il des absences répétés, des crises, des changements de rendement...

Le regard sur l'ensemble des salariés et l'organisation interne de l'entreprise permet de comprendre le relationnel entre les salariés, y a-t-il des tensions, des pressions, des conflits voire agressivités ? La motivation globale des salariés est-elle bonne ? Quel est l'impact du fonctionnement interne sur le bien-être des salariés ? Ainsi, les risques psychosociaux peuvent générer plusieurs types de conséquences. Les premières sont les conséquences sur l'entreprise, sa pérennité et sa rentabilité (facteurs mise en avant par des universitaires comme Nader Barzin et Henry Minzberg) ; son fonctionnement (productivité, succession d'erreur sur le tâches...), ses salariés (leurs absentéisme, turn-over...). Les secondes conséquences touchent les salariés, leurs santé (arrêts maladie), leurs sécurité (accident du travail, erreur professionnelle…), les difficultés dans le travail (à faire face, à trouver des marges de manœuvre, le travail perçu,… éléments prise en considération dans le model DCS de Karasek & Theorell, 1990).